Le Pendu d'Argol by Grall André

Le Pendu d'Argol by Grall André

Auteur:Grall André [André, Grall]
La langue: fra
Format: epub


XII

Quand Sofiane entra dans L’annexe, le petit bistrot en face de la rédaction, les bouches se turent. Elle était vêtue d’un corsage moulant et d’une jupe de cuir noir, courte et serrée. Nue, la sensation qu’elle causa aurait été moindre. Sans les voir, on n’ignorait rien de ses seins et de ses fesses, rien de leur volume, rien de leur galbe. De ce délicieux et involontaire effort d’imagination naissait une sorte de saisissement. Mais la fille avait au fond du regard un lointain mépris, presque de la morgue, et le chemin qui séparait les mains des secrets répandus de sa chair parut à tous, Paul y compris, irrémédiablement infranchissable.

Puisque le garçon occupait la banquette, Sofiane s’assit en face de lui, sur une chaise. Elle tournait ainsi le dos au comptoir. Dans le cas inverse, il n’aurait pas été vain pour les consommateurs d’espérer apercevoir son entrejambe. Cette disposition malheureuse valut à Paul quelques regards dépités de la part de deux habitués avec lesquels il lui arrivait de boire des coups. Néanmoins, ces derniers pouvaient apercevoir le reflet de la jeune fille dans la glace suspendue derrière Paul et ne s’en privèrent pas. Légèrement incliné, le miroir renvoyait du décolleté de Sofiane une vision bien plus intéressante que la piste de 421.

Ils se saluèrent gauchement, puis Paul lui demanda ce qu’elle voulait faire.

« C’est Laval qui t’a demandé de me sortir ?

— Il m’a dit que tu t’emmerdais.

— Et tu l’as cru ? C’est le prix à payer pour la bagnole, c’est ça ? »

D’un coup, Paul la trouva trop déshabillée. Trop agressive. Et puis, de toute manière, elle était bien trop belle, bien trop riche pour lui. Il allait sans doute sortir avec elle, tout à l’heure, et le jeune homme savait qu’il se sentirait emprunté toute la soirée. On ne s’improvise pas compagnon des stars. Il imagina Sofiane invitée à déjeuner à la ferme, débarquant dans cette tenue, et la tête que ferait sa mère. « M’man, je te présente la fille du type dont je t’ai parlé, mais si, tu sais bien, celui qui m’a offert la voiture. »

À cette évocation, Paul se mit à rire.

« Évidemment, tu l’as pas cru, en conclut Sofiane.

— Hein ? Non, non, je l’ai pas cru. Et pour la voiture, si tu veux savoir, j’ai signé une reconnaissance de dettes. »

Elle hocha la tête.

« T’as bien fait. Avec Laval, faut que tout soit clair… T’as un programme pour la soirée ? »

Paul proposa d’aller manger une pizza. Elle fit une moue mais le suivit quand même.

Sur la place du marché, la jeune fille tomba en arrêt devant la carte du Duc de Bretagne, le plus grand restaurant de Quimperlé.

« J’ai envie de fruits de mer », dit-elle.

Sans se retourner vers Paul, elle entra dans le restaurant. Nappes blanches et lustres monumentaux, serviettes en tissu, assiettes de chez Henriot, serveurs et sommeliers tirés à quatre épingles, le Duc de Bretagne était le genre de restaurant où le cendrier est remplacé à chaque mégot. Autant dire que Paul n’y avait jamais mis les pieds.



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